Chapitre 9

Instruments et supports de l’écriture

Pendant des siècles, les calligraphes ont utilisé divers instruments et supports pour écrire et créer leurs œuvres. Les calames, taillés dans le roseau ou d’autres matériaux précieux tels que l’os, l’argent et l’or, étaient essentiels pour la calligraphie. Leur taille précise et leur préparation soignée étaient nécessaires pour obtenir des tracés impeccables.

1. Les instruments

1.1 Calame (Qalam)

Le mot arabe « qalam » correspond au mot grec « calamos » ou « calamus » en latin. Il désigne une plume taillée dans le roseau et sert à l’écriture depuis l’origine. Il comprend trois éléments : une pellicule lisse et brillante à l’extérieur, appelée « os » ou « batn al- qalam” une partie poreuse, appelée « gras » « chahmat al-qalam » qui doit être enlevée ; et entre les deux, une couche plus fibreuse, la « chair » ou « al-qichra ».

Bien tailler, le calame est une nécessité primordiale. La largeur du bec doit correspondre, en moyenne, à la moitié du diamètre extérieur. L’opération se fait en quatre étapes : l’ouverture, la sculpture, la fente et la coupe. 

Dans son ouvrage « Al-Fihrist », Ibn Nadim (936-995) recense plusieurs types de calames  :

  • Le calame en roseau, appelé « qalam al-waṣṣāf » ou « qalam al-bāmir ». C’est le plus commun et le plus ancien des calames arabes.
  • Le calame en roseau noir, appelé « qalam al-ḥadīd »
  • Le calame en os, appelé « qalam al-ḍabīr »
  • Le calame en argent, appelé « qalam al-fidda »
  • Le calame en or, appelé « qalam al-dhahab »
  • Le calame en acier, appelé « qalam al-hadīd al-aswad »
  • Le calame en étain, appelé « qalam al-falāsifah »
  • Le calame en plomb, appelé « qalam al-rammās »
  • Le calame en ivoire, appelé « qalam al-fil ».
  • Le calame en corne, appelé « qalam al-qarn »

Calames en roseau
utilisé par le calligraphe

Hannach (Pointeur de lecture) en os
Période Ottomane
17 x 1 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-3463

Boite métallique avec écriture
de versets coraniques
12,2 x 30,9 x 10,7 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-3103

Hannach (Pointeur de lecture) en os
Période Ottomane
17 x 1 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-3463

2. Les outils nécessaires
à la taille du calame

2.1 Canif

Pour tailler le bec, il faut nécessairement un couteau ou un canif à la lame fine et bien aiguisée et un tailloir en os ou en ivoire qu’on appelle le « miqat » ou « miqatta ». 

2.2 Tailloir (miqat ou miqatta)

C’est une plaquette de coupe qui sert de support au « qalam » lors de la coupe. Une sorte d’échancrure en creux est façonnée afin de maintenir le « qalam » en équilibre au moment de la fente et de la coupe du bec. Elle sert aussi à recueillir le surplus d’encre qui reste sur le « qalam » lorsque le calligraphe le pose.

2.3 Encrier

L’encrier a une grande importance pour le calligraphe. Certains sont conçus pour être utilisés lors des déplacements (encriers de voyage). Il se compose d’un petit godet avec couvercle destiné à contenir l’encre sèche à laquelle il faut ajouter de l’eau au moment venu. Un étui longiligne contient des calames. Il se fixe généralement sur la ceinture. Chaque encrier contient en son fond une « liqa ». Cette dernière est une sorte d’étoupe (éponge, étoffe) placée au fond de l’encrier, parfois constituée de fils de soie afin que le calame dont le bec est fragile ne s’abîme pas et se charge juste de l’encre nécessaire. Elle minimise les dégâts également en cas de renversement de l’encrier.

Les plus anciens encriers sont en pierre. Les plus récents sont en porcelaine, en céramique émaillée, en verre, en cuivre ou en métal plus précieux comme l’argent et exceptionnellement l’or. Ils sont parfois décorés de sagesses ou signés. 

2.4 Encres 

Les calligraphes accordent une grande importance à l’encre qu’ils utilisent, qui est en général de couleur noire. Pour eux, elle est considérée comme la chair même de la lettre et essentielle pour donner vie au tracé. Il existe deux catégories principales d’encre utilisées :

  • La première, appelée midâd, à base de carbone, est composée de noir de fumée, de gomme arabique et d’eau.
  • La seconde, appelée hibr à base de métallo-gallique, est fabriquée à partir de noix de galle et de sulfate de fer ou vitriol vert.

Il arrive également que les calligraphes utilisent une troisième encre, dite mixte, qui est un mélange de noix de galle et de noir de fumée. D’autres ingrédients, variables d’une recette à l’autre, sont ajoutés : alun, écorce de grenade, clou de girofle, noyaux de dattes brulés et broyés, lait caillé, safran, miel, blanc d’œuf, eau de rose, myrte… A la fin de la préparation, l’encre est filtrée et parfois parfumée. Le plus délicat est d’obtenir un mélange homogène des différents constituants. Des textes anciens donnent des conseils à ce propos. Un traité d’Ibn Badis, datant de 1025, en recense tous les constituants.

2.5 Pigments

Ce sont les constituants qui donnent de la couleur à l’encre. La majorité des pigments de couleur noire sont à base de fumée. Quant aux autres pigments, ils sont très variés et d’origines diverses : charbon dit noir de fumée, pierre d’alun, gomme arabique, terre, mélange de brou de noix et écorce de grenade, pierre d’encre de chine sont les bases principales.

  • Le jaune de l’orpiment qui est un sulfure d’arsenic ; il remplace souvent l’or pour son moindre prix.
  • Les ocres sont extraites d’une roche ferrique et sont composées d’argile colorée par un hydroxyde de fer.
  • Les pigments bleus sont beaucoup plus rares. Autrefois, on utilisait l’azurite et surtout la pierre de lapis-lazuli (aussi chère que l’or et utilisée pour les deux premières pages du Coran).
  • Les pigments d’origine végétale sont également utilisés, mais sensibles à la lumière, ils nécessitent parfois une grande quantité : fleurs et feuilles, safran, peau de grenade, écorce de noix, feuilles de henné.
  • Les pigments d’origine animale tels la cochenille pour le rouge et le pourpre.

2.6 Calque (Qalab)

Quand le calligraphe construit une composition complexe, il n’a pas droit à l’erreur.
Afin que chacune de ses lettres soit à l’emplacement exact dans la composition telle qu’il l‘a imaginée, il réalise un croquis de sa calligraphie sur une feuille de papier et y apporte les corrections nécessaires. Puis, il prend une peau de gazelle très fine ou, plus tard, un papier calque qu’il pose sur son croquis et avec une aiguille fine, il perce de petits trous les contours et obtient un qalab. Ensuite, avec une pochette d’étoffe fine emplie de charbon de bois pilé, il tamponne le qalab posé sur un beau papier. Lorsqu’il retire délicatement le qalab, la reproduction du contour du pointillé de sa composition apparaît. Enfin, avec un qalam, il calligraphie suivant la trace laissée par la poudre de charbon. 

2.7 Hannach

C’est un pointeur de lecture. Il a généralement une forme de longue baguette. Il est en os, en bois ou en argent. Il sert à mémoriser les versets coraniques que les élèves lisent sur la lawha (tablette coranique en bois).

Encrier (Douaïa) en forme octogonale avec huit mihrab en céramique
XIXe siècle
Algérie
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-60

Écritoire, Plumier de voyage
(Qalamdan) avec encrier
Incrustation en argent sur cuivre
XIVe siècle
28 x 8 x 3,5 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-2365

Écritoire, Plumier de voyage
(Qalamdan)
Période ottomane
Signature (Tughra)
1368
32 x 10 cm
Fondation ADLANIA, Objets,OBJ-1074

2. Les supports de l’écriture

2.1 Parchemin

Le choix du matériau pour l’écriture a évolué au fil des siècles et des cultures. A l’origine, le parchemin vient de la ville de Pergame (actuelle Turquie). Matériau transparent ou opaque, d’une surface lisse, convenant à l’écriture, la reliure et autres usages, obtenu par séchage de la peau chaulée, non tannée, provenant de moutons, chèvres et gazelles… il supplantera peu à peu le papyrus. Sa cherté et son temps de fabrication en font un matériau rare et précieux.

2.2 Papyrus

Utilisé en Égypte antique depuis les plus anciennes civilisations, le papyrus reste l’un des supports de l’écriture arabe jusqu’à l’arrivée du papier (Xe siècle). Le calife abbasside Al-Musta’sim (796-842) favorise sa production en établissant une fabrique de papyrus en 836. Le papyrus est également utilisé en Sicile, en Syrie du Nord et en Mésopotamie, d’où proviennent de nombreux papyrus écrits en arabe au cours des quatre premiers siècles de l’Hégire et conservés aujourd’hui. Les sources de papyrus les plus fréquentes étaient la Haute-Égypte, Fustat (Le Caire), Damas, la Palestine et la capitale abbasside Samarra.

2.3 Papier

Le secret de la fabrication du papier est transmis aux Arabes par les Chinois à Samarcande au VIIIe siècle. Les premiers papiers arabes sont fabriqués à partir de coton, de soie ou de chanvre. Ils doivent être lisses et légèrement absorbants pour convenir aux calligraphies. Avant utilisation, ils sont souvent teintés et traités de diverses manières, notamment à l’amidon de riz ou à l’alun. Le papier est poli jusqu’à ce qu’il devienne brillant, avec une pierre d’agate, de jade ou même une dent de chameau. Ces traitements sont réalisés par le calligraphe ou un artisan spécialisé. L’administration l’adopte car il est plus difficilement falsifiable que le parchemin qui, lui, pouvait être effacé.
L’usage du papier se répand surtout au XIe et XIIe siècle et s’étend jusqu’en Andalousie, d’où il part vers l’Europe. Son moindre coût et sa facilité d’usage sont les raisons pour lesquelles il supplante les autres matériaux.
Avec l’apparition du papier, tous les métiers du livre se développent. Composer un manuscrit nécessite plusieurs experts : Le coupeur de papier (qâti’ al-waraq), le calligraphe (khattat), le copiste (al-nâsikh), l’enlumineur (muzayyin), le relieur (mugharrif)…

« Un quart de l’art d’écrire réside dans la noirceur de l’encre, et un quart dans l’adresse du scribe ; un quart dans la régularité de la taille du calame, et le dernier quart provient de la qualité du papier « . Al-Qalqashandi (m. en 1418)

2.4 Tablette coranique (Al-lawha)

Dans les écoles coraniques traditionnelles (kuttâb, m’aamra, djamâ’), les enfants utilisent des tablettes de bois appelées “lawhât” (« al-lawha » au singulier) pour apprendre à écrire, lire et mémoriser les versets et les sourates du Coran.

L’écriture sur une tablette exige une préparation spéciale que chaque élève doit faire quotidiennement. Les versets déjà mémorisés sont effacés en rinçant la tablette à l’eau. Après le rinçage, on applique de l’argile blanchâtre sur la surface encore humide puis on laisse sécher afin de pouvoir copier de nouveaux versets avec un calame et de l’encre dite « smaq », (confectionnée avec de la suie de laine de mouton).

Simple support d’étude et de mémorisation au départ, elle devient, à certaines étapes d’apprentissage, une sorte de diplôme de fin d’étude (khatma). Les tablettes sont alors décorées, souvent de la main du maître, et ramenées à la maison pour être gardées précieusement comme un rappel des paroles révélées sur la Table protégée « Al-lawh al-mahfûz » ou Table gardée, littéralement inaltérable. (Coran : S 85 – V 22).

Tablette de réglure (Mistara) en pierre
utilisée pour tracer les lignes d’écritures dans les manuscrits
44 x 26,7 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-3094

Encriers anciens en pierre
Maroc
Fondation ADLANIA, Manuscrits, OBJ-59

Tablette coranique en bois dur (Lawha)
Nigéria
Fin du XXe siècle
64 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-3112