Chapitre 5

Période Abbasside (750-1258)

L’époque de la dynastie des abbassides, considérée comme l’âge d’or de la calligraphie, a connu une diversification et une sophistication accrue. Elle est marquée par une rupture qui s’opère au Xe siècle avec l’émergence d’écritures cursives caractérisées par des lettres plus rondes et plus petites, souvent regroupées sous le nom de naskhî.

Ces dernières, pour des raisons pratiques, s’imposent au détriment du kûfî. Cette transformation radicale est dûe essentiellement à trois grands calligraphes : Ibn Muqla (886-940), ibn Bawwâb (m. 1022) de l’Ecole de Bagdad et à al-Musta’simî (1203-1298) qui, deux siècles plus tard, perfectionnera la théorisation et la pratique de l’art de l’écriture cursive, employée jusqu’à aujourd’hui.

Si à l’origine, la calligraphie a pour but d’améliorer les techniques d’écriture afin qu’elle soit plus belle et plus claire, elle va, de plus en plus, incorporer la prépondérance de la forme plastique.

Pendant la période abbasside, la dynastie califale fatimide (909-1171), également connue sous le nom d’obeydide, a étendu son règne sur le Maghreb, la Sicile et une partie du Moyen-Orient. Cette dynastie chiite ismaélienne (Xe au XIIe siècle) se distingue par la grande finesse et la sophistication de sa calligraphie. Divers styles, tels que le kûfî, le thuluth, le naskhi et le muhaqqaq, sont utilisés pour créer des compositions harmonieuses. En utilisant des plumes d’oiseaux, ils réussissent à tracer des traits délicats et fluides, maîtrisant ainsi l’art de la composition et de l’équilibre des lettres pour produire des œuvres esthétiquement plaisantes. Ils sont à l’origine de la création de l’université d’al-Azhar au Caire, en 970 de l’ère commune.

1. L’École de Bagdad

C’est aux apports successifs de trois éminents maîtres calligraphes que l’École de Bagdad doit son nom et sa réputation. L’espace politique, économique et intellectuel dans lequel ils évoluent est propice à l’éclosion et au brassage d’idées issues de diverses disciplines. Ces maîtres encouragent et favorisent le développement des arts. Sur le pas de leurs prédécesseurs, leurs recherches apportent des améliorations et innovations, dans une continuité sans rupture, chacun dans un domaine spécifique. Les innovations de Ibn Muqla (886-940) – bien qu’elles soient absolument originales – ne contredisent en rien celles de ses devanciers. C’est également le cas des innovations de ses successeurs.  Cette école est un excellent exemple d’échange et de transmission des savoirs.

De nombreux disciples de ces trois maîtres fondateurs, dont un certain nombre de femmes, lèguent un riche patrimoine artistique conservé jusqu’à nos jours. Shaykhah Shudah (1091-1178) dite Fakhr-un-Nisa (la fierté des femmes), la fille du savant renommé Abu Nasr Ahmad Ibn’ Umar Al-Abri (m.1112), qui fut aussi son maître, a excellé en plusieurs sciences et s’illustra particulièrement dans l’art de la calligraphie.

Monnaie en or
Période Abbasside
Calife Abû Jaffar Mansûr
Bagdad, 754-775
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-1667

Rouleau manuscrit
Sourate CVIII
Mode : Kûfî
Parchemin, 133 x 43 cm
Fondation ADLANIA, Manuscrits, MAN-613

2. Maîtres fondateurs 

2.1 Abû ‘Ali Muhammad Ibn Muqla (886-940)

Poète et écrivain ayant occupé les fonctions de vizir, il applique les lois de la géométrie pour codifier les lettres et fixer leurs proportions. Ce système de règles repose sur le tracé d’un alif autour duquel on construit un cercle. La lettre alif, qui a pour mesure le diamètre de ce cercle, devient la lettre étalon. Chaque lettre est ensuite élaborée à partir de ce cercle. Ainsi, la courbe du cursif triomphe de la rigueur angulaire du kûfî. Il accomplit une espèce de révolution, faisant disparaître l’usage de l’écriture kûfî en la remplaçant par le naskhî. Ibn Muqla laisse une Epître sur l’écriture et le calame (Risalat al-khatt wa-l-qalam), dont une copie est conservée au Caire. La technique et les codes sont notamment évoqués ainsi que le calame et sa coupe, et l’encre et sa préparation. Abdellah ibn Zandji (Xe siècle) rapporte qu’il est un « prophète dans l’art calligraphique » ajoutant que son don est comparable à l’inspiration des abeilles, qui construisent les alvéoles.

2.2 Abû al Hassan Alâ-eddine Ali ibn Hilâl, dit Ibn Bawwâb (961 – 1022)

Connu également sous le nom d’Ibn Sitrî, il est l’un des intimes du vizir Fakhr al-mulk Abû Ghalîb Muhammed b. Khalâf (965-1016). Décorateur de métier et grand lettré, il s’oriente vers la calligraphie et l’enluminure. Après avoir réuni les diverses écritures d’ibn Muqla, il les amende en améliorant les procédés et ce, jusqu’à ce qu’il trouve son propre style. Il institue le point-mesure, obtenu par le tracé (al-khatt) en biais que laisse le roseau sur le papier et à partir duquel on mesure chaque lettre. Il perfectionne et embellit les graphies, tout spécialement le style naskhî et le muhaqqaq.

En sa qualité de Conservateur de la bibliothèque “Buwayhide Bahâ’ al-dawla” à Shirâz, il a la charge de faire des copies des livres connus à l’époque et de soixante-quatre manuscrits du Coran, dont un exemplaire a été offert à la bibliothèque de la mosquée de Lâléli (Istanbul) par  le sultan Salim 1er (1470-1520). Sa copie du “Diwan” de Salama ibn Jandal (m. en 639) se trouve à la bibliothèque de la mosquée d’Aya Sofya (Istanbul). A ce jour, il n’est conservé de ce calligraphe qu’une unique copie du Coran, actuellement à la Chester Beatty Library (Dublin).

Une femme célèbre de cette période se distingue également. Experte du style d’Ibn Al-Bawwab, Fatimah Bint al-Aqra’ (m. en 1087), est réputée pour son enseignement dans l’art de la calligraphie. Son travail inspire de très nombreux artistes qui viennent apprendre auprès d’elle. Elle exerce son art au service du premier sultan seldjoukide Tughrul Beg (995-1063) et son vizir, al-Kundari (1024-1064). Elle est invitée par le calife abbasside al-Muqtadî (1056-1094) à rédiger l’accord de trêve entre les Abbassides et les Byzantins.

2.3 Jamal Eddine Yâqût Al-Musta’simî (1203-1298)

Jamal Eddine Yâqût Al-Musta’simî est l’esclave du trente septième et dernier Calife abbasside de Bagdad, Al-Musta’sim Billâh (1212-1258). Dès le début, il innove sur le plan technique en intervenant sur le qalam dont le bec est coupé droit (jazm), puis sur le qalam dont le bec est coupé obliquement (muharraf). Très vite, sa réputation grandit et l’érige au rang de modèle des calligraphes (Qiblatu-l-Kuttâb). On lui doit l’ultime perfectionnement de l’art de l’écriture et la théorisation finale ainsi que les plus beaux manuscrits et Corans conservés jusqu’à ce jour. Certains prétendent qu’il a copié le Coran mille et une fois. La bibliothèque nationale de Paris en possède un exemplaire faisant partie du fond Shefer (manuscrits arabes, n°6082).

Feuillets d’un Coran
Sourate XLVIII 11
Mode : Muhaqqaq
Papier
Fondation ADLANIA, Manuscrits, MAN-603

Sceaux de motifs différents en terre cuite de la période fatimide
Xe siècle – Égypte
Diamètre : 7 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-377

Manuscrit d’un Coran
Sourate I et Sourate II 1-4
1771
Copiste : Muhammad Husayn b. Nâsir Ali
Mode : Thuluth
Papier, 33 x 22 cm
Fondation ADLANIA, Manuscrits, MAN-132

3. Styles calligraphiques
Le Naskhî (Xe siècle)

Etymologiquement, le nashkî dérive du verbe « nasakha » qui signifie « copier ». Codifié au Xe siècle, ce style a été développé par le grand calligraphe Ibn Muqla (886-940). Il se caractérise par sa lisibilité, son équilibre et sa rapidité d’exécution. Cette écriture, dite « cursive », a un tracé souple et arrondi. Chaque lettre de l’alphabet a ses canons esthétiques bien définis. Elle devient très rapidement la graphie la plus répandue de l’ensemble du monde arabo-musulman.

Au Xe siècle, le papier supplante le parchemin, permettant une production de plus en plus massive de livres. D’autres styles calligraphiques se développent au détriment du kûfî, considéré jusqu’alors comme référence pour l’écriture coranique. Le nashki se propage avec les Fatimides aux environs du Xlle siècle et plus particulièrement, sous le règne des Mamelouks d’Égypte et de Syrie (1250 à 1517).

Carreau en terre cuite vitrifié
Période Seldjoukide
22 x 23,3 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-3107

Plumier (Qalamdan) en laiton incrusté d’argent
Mode : Thuluth
6 kg, 50 x 13 cm
Fondation ADLANIA, Objets, OBJ-469